« Très tôt, on a travaillé sur des économies d’énergie, sur l’usage de la pompe à chaleur par exemple… C’est le principe même de la production de froid : on prend la chaleur d’un côté, qu’on rejette de l’autre. En visite chez un client, j’ai discuté avec des anciens qui étaient là. Ils jouaient avec leurs fenêtres et leurs portes pour utiliser l’air extérieur comme moyen de maîtriser leur ambiance. En les écoutant je me suis fait la réflexion suivante : on parle des températures, mais il y a mieux ! Il y a l’entropie de l’air, la quantité de chaleur contenue dans l’air. Je demande donc à ces anciens : « Comment vous faites pour réguler l’ambiance de votre séchoir ? » Ils me répondent : « On ne sait pas. » Et puis, j’en vois un qui bouge son pied. Instinctivement, il tâtait le sol. Suivant l’humidité qui s’y était fixée, le sol réagissait différemment quand il frottait son pied. Par ce simple geste, il évaluait l’hygrométrie de son ambiance avec une précision d’au moins 1 % que nous-même n’arrivions pas à obtenir avec nos appareils. Je me rappelle leur avoir dit : « Ce sont vos rhumatismes qui permettent de réguler votre séchoir ! » C’est grâce à ces échanges que nous avons lancé tout un programme de développement pour les unités de production de salaisons. »
« Quand Clauger a participé à ses premiers salons, il fallait se positionner. L’idée était alors de monter un stand de même niveau que nos concurrents. Nous partions ainsi en expédition de veille technologique sur les stands de nos confrères. Nous pensions en effet que si nos clients nous assimilaient à nos concurrents, cela rassurerait et démontrerait notre capacité professionnelle. Nous concevions alors nous-mêmes nos stands et nous les prémontions à Brignais dans l’atelier. »
MÉCANISATION DES ÉTUVES À YAOURTS OU COMMENT L’OBSERVATION FAIT ÉVOLUER LES TECHNOLOGIES
« Dans le procédé de fabrication du yaourt, la phase étuvage est importante. Le yaourt est un produit vivant où des micro-organismes s’expriment. Dans une cuve, on commence par mélanger le lait, des ferments et autres composants. Puis on remplit des pots de ce liquide qu’on dépose dans une chambre chaude. Le liquide coagule, se gélifie, son acidité évolue. Au bout d’un certain temps, il faut refroidir rapidement le yaourt pour maîtriser son goût. Nous avions travaillé sur ce process. Nous équipions déjà les industriels de tunnels de refroidissement à yaourts automatisés. Un client me fait part de ses préoccupations car il trouve son étuvage très complexe à gérer. Il m’expose sa problématique et me dit : « Qu’est-ce que vous pouvez faire ? » Il y avait des milliers de yaourts à traiter par heure. Il fallait garantir que tous suivent les mêmes évolutions. Donc, je vais dans l’atelier. J’observe. Ils me font part de leurs craintes et attentes. Après un temps de réflexion je reviens les voir et leur propose de mécaniser leur étuvage. Ils me répondent : « Non, non, non ! Il ne faut pas. Ce n’est pas possible. Nous ne pourrons pas garantir la texture du produit. » Sûr de moi, j’insiste en prenant le risque de tout démonter en cas d’échec. Pourquoi, contrairement aux idées reçues, pouvait-on mécaniser ? En fait, j’avais passé du temps dans l’atelier, j’avais analysé le comportement des équipes, je voyais comment les gars manipulaient les palettes de yaourts, ce qu’il était possible de faire ou ne pas faire. Et j’ai pris plaisir à mettre au point un procédé complet clé en main, que nous avons pu développer ensuite. Au final, toute la technologie a évolué car je me suis permis de remettre en cause des acquis. Ce que je viens de vous expliquer pour un produit, Clauger le fait régulièrement pour d’autres et cela fait partie des clés de notre réussite. »
« Sur un ton d’humour j’ai souvent dit : le plus compliqué pour moi a été quand j’ai doublé les effectifs. Et j’ajoute que c’est quand Clauger est passé d’une personne à deux, car il a fallu doubler le potentiel de travail du jour au lendemain. Embaucher le premier salarié a peut-être été le moment le plus dur ! J’avais 28 ans et une grande part d’inconscience. Pour acquérir la confiance de clients, j’ai commencé à embaucher un premier salarié plus ancien que moi, puis un deuxième : tous deux avaient plus de 40 ans. »
« Gallus fait partie des pionniers qui ont marqué Clauger. Gallus était un homme brave et bon, le dernier enfant d’une grande famille, natif de Suisse Romande. Quand il a rejoint Clauger, il nous a transmis son beau savoir-faire dans le froid industriel et la maîtrise de l’ammoniac. Avec du recul, il a transformé Clauger. Il a contribué à donner un esprit convivial et professionnel à notre entreprise. Beaucoup d’anciens ont été formés par lui. Quand il est parti à la retraite, Clauger lui a offert sa voiture de fonction et son poids en cuivre. Après le froid industriel, le travail du cuivre était en effet sa seconde passion. Clauger lui a mis à disposition un espace pour qu’il continue sa passion de travailler le cuivre pendant sa retraite. »
Lors de la remise de la médaille du travail à Gallus Cavegn, entouré de Paul Minssieux et Dominique Di Bisceglie.
« Pour mon premier gros chantier, en 1973, du côté d’ Annecy Sainte-Catherine, je me souviens du rendez-vous au siège. Clauger était dans la « short-list » des fournisseurs possibles. En face de moi, j’avais les fournisseurs historiques de cette entreprise. J’avais donné mes dernières conditions. Je quitte le client. Avant de partir, je me souviens d’être allé voir le chantier qui avait commencé sans casques ni chaussures de sécurité. Je me rappelle avoir été impressionné par la hauteur des murs, le dimensionnement des pièces et m’être dit : « Écoute Paul, avec cette affaire-là, ça va passer ou ça va casser ! » C’est passé. J’ai en moi cette image de l’avant-chantier, un grand terrain vierge devenu ensuite une immense usine qui stocke pas moins de 40 000 meules d’emmenthal de 70 kg chacune. »
« Notre première réalisation d’une cave d’affinage de cantal fut une vraie réussite. Le client nous avait confié que ses fromages étaient mieux affinés que dans ses caves traditionnelles, donc bien mieux valorisés : leur aspect lui rappelait les fromages qui sortaient des burons ancestraux. Bien entendu, il nous confia la réalisation de ses extensions. Pourtant, après des mois de prospection sur le marché des caves à cantal, nous étions étonnés de ne pas pouvoir en vendre à sa concurrence malgré cette belle référence. Avec Claude, nous nous interrogions et grâce à notre connaissance du terroir local nous avons déjoué la ruse de notre client préféré qui ne voulait surtout pas que ses collègues s’équipent avec notre matériel, en invoquant des prétextes infondés, comme la consommation énergétique. Ce fut facile pour nous, connaissant la mentalité de nos prospects, de les convaincre et de réussir notre implantation sur ce beau territoire ! »
« J’adore avoir des projets, lancer des choses, entreprendre. J’aime partager aussi avec Monique, qui n’est pas un frein et au contraire facilite. Pour moi, entreprendre c’est découvrir. »
« Gérard Lézier avait plusieurs projets en tête. Lors d’une rencontre à Lyon, j’ai été confronté à un projet concurrent bien plus avancé que le mien. Mais j’ai senti que Gérard tenait à m’entraîner dans l’aventure et qu’il essayait de me convaincre de me joindre à eux. Mes concurrents peu enthousiastes se faisaient tordre le bras. Gérard, voulant forcer le destin, m’a demandé : « Si vous nous rejoignez, Monsieur Minssieux, combien voulez-vous gagner ? » En réponse à une telle question, c’est en général le premier qui répond qui a tort. J’ai gardé le silence. Pour m’ôter l’envie d’être de la partie, un des concurrents a fini par sortir un chiffre ridicule. Ma réaction a été spontanée : « Il n’y a pas de problème si c’est pour rémunérer un stage de formation ! » Gérard Lézier s’est empressé de toper et a proposé de me prendre comme stagiaire pour démarrer. Voilà le début d’une collaboration des plus fructueuses qui deux mois plus tard s’est conclue lors d’une grande réunion. Gérard, me faisant confiance, m’a proposé de créer ensemble Clauger Rhône-Alpes. C’est ainsi qu’en 1971 nous avons créé une SARL avec 20 000 francs de capital, dont 25 % des parts m’étaient réservées. Comme je n’avais pas d’argent, Gérard m’a avancé ces 5 000 francs. »
« Un stage chez un artisan lyonnais m’a mis le pied à l’étrier. Puis le service militaire : 16 mois dans l’armée de l’air à Aix-en-Provence, affecté à la maintenance des bases, en charge du matériel frigorifique. Une belle école de la vie qui m’a autant servi comme futur manager que comme technicien. L’expérience de la vie collective, une vision des ressources humaines que seule l’armée peut donner, et professionnellement j’étais confronté à moi-même pour assurer le service et prendre des décisions. La notion de garantie de résultat s’imposait déjà. Ce fut très enrichissant.
Une entreprise de froid commercial J’ai démarré ma vie professionnelle pendant deux ans et demi dans une entreprise de froid commercial installée à Lyon. J’ai apprécié ce premier contact professionnel car il m’a permis d’aborder mon futur métier d’une manière très autonome. Chaque équipement était un concentré de ce que l’on peut rencontrer dans notre profession, avec des moyens très limités. J’ai ainsi acquis en peu de temps un bagage que j’ai pu faire fructifier. »